Figures féminines du Shibari : riggers, modèles et photographes qui ont marqué l’histoire
Figures féminines du Shibari : riggers, modèles et photographes qui ont marqué l’histoire
Redonner leur place aux femmes du Shibari
Quand on parle de Shibari, ou Kinbaku (緊縛), les noms qui reviennent le plus souvent sont ceux de maîtres masculins : Itō Seiu, Osada Eikichi, Haruki Yukimura, Naka Akira… Pourtant, dans l’ombre de ces figures, les femmes ont toujours été présentes et essentielles.
Elles ont été modèles, muses, riggers, photographes, performeuses. Leur rôle dépasse largement la simple position de « sujet attaché » : elles ont influencé l’esthétique, inspiré des générations et, aujourd’hui encore, redéfinissent les codes d’une pratique en constante évolution.
Les modèles : muses, pionnières et visages du Kinbaku
Kishinami – la muse d’Itō Seiu
Itō Seiu (1882–1961), considéré comme le père du Kinbaku moderne, n’aurait pas façonné son univers sans ses modèles. Parmi elles, Kishinami occupe une place particulière.
Son visage et son corps apparaissent dans de nombreuses peintures et photographies. Plus qu’un simple sujet, elle a contribué à donner au Kinbaku une dimension esthétique et émotionnelle, en incarnant la vulnérabilité et la puissance contenues dans les cordes.
Kumiko Akiyoshi et la diffusion cinématographique
Dans les années 1970–80, le cinéma érotique japonais a popularisé l’imagerie kinbaku. Des actrices comme Kumiko Akiyoshi ont contribué à rendre cette esthétique accessible à un public plus large. À travers leurs performances, elles ont transporté le Shibari au-delà des cercles privés vers un espace culturel plus visible.
Les modèles anonymes des magazines SM
Des années 1950 aux années 1970, les magazines spécialisés japonais (Kitan Club, SM Collector…) publiaient des séries de photographies de bondage. Les modèles anonymes, souvent réduites au silence, ont joué un rôle crucial.
Leur contribution, bien que rarement reconnue, a façonné les postures, les expressions et l’imaginaire du Shibari moderne. Leur vulnérabilité, leurs regards et leurs réactions ont profondément marqué l’évolution de la discipline.
Les riggers : l’art féminin des cordes
Invisibilisées mais présentes
Pendant longtemps, l’art du Shibari était présenté comme dominé par les riggers hommes. Pourtant, des femmes ont toujours pratiqué l’attache, souvent dans des cercles privés, ou restées en marge de la reconnaissance officielle.
Miumi Uesugi – l’élégance poétique
Au Japon, Miumi Uesugi est l’une des figures contemporaines féminines les plus connues. Son style se caractérise par des attaches poétiques, un rythme lent et une grande attention à l’écoute du modèle. Elle représente une autre sensibilité du Shibari japonais, plus intimiste.
Anushka – la scène française
En France, Anushka s’est imposée par une esthétique minimaliste et sensible. Elle développe un Shibari où la douceur, la respiration et le visuel priment sur la démonstration technique.
Clover – de modèle à pédagogue
Clover, connue au départ comme modèle aux côtés de WykD Dave, a évolué vers un rôle de rigger et d’éducatrice. Elle transmet aujourd’hui son savoir sur la sécurité, le ressenti du modèle et la pédagogie des cordes. Son parcours illustre la transition de nombreuses femmes, passant de modèle à actrice créative et enseignante.
Les photographes et artistes visuelles : un autre regard sur le Shibari
Yuko Yamazaki – intimité et sensualité
Photographe japonaise, Yuko Yamazaki a capturé le Shibari dans des atmosphères feutrées. Ses clichés se distinguent par leur subtilité, mettant en avant la sensualité des cordes plutôt que la contrainte spectaculaire.
Noriko Yamaguchi – installations performatives
Noriko Yamaguchi, artiste contemporaine, utilise les cordes comme matériau artistique dans ses performances et installations. Son travail brouille les frontières entre art visuel, féminisme et Shibari, en explorant les thèmes de l’enfermement, de l’identité et du corps féminin.
Mai Ueda – l’approche multimédia
Artiste japonaise installée à l’étranger, Mai Ueda intègre le Kinbaku dans des performances multimédias. Elle l’utilise comme un langage corporel pour aborder des thèmes féministes, identitaires et expérimentaux.
L’influence occidentale et la montée des femmes dans le Shibari
Les années 2000–2020 : une bascule
Avec l’essor d’Internet, le Shibari s’est largement diffusé hors du Japon. En Europe et aux États-Unis, des communautés inclusives se sont développées, notamment à Berlin, Londres et Paris.
Modèles devenues riggers
De nombreuses femmes ayant commencé comme modèles ont choisi de devenir riggers. Ce passage a contribué à rééquilibrer la dynamique souvent genrée du Shibari. Désormais, les femmes enseignent, transmettent et créent à leur manière.
Collectifs féminins et queer
À Berlin ou Londres, des collectifs de riggers femmes et queer revendiquent une pratique non genrée, axée sur l’écoute, la communication et la création artistique. Ils élargissent le Shibari au-delà de la dichotomie traditionnelle « rigger homme – modèle femme ».
Vers un Shibari plus inclusif et diversifié
Le Shibari contemporain voit émerger une nouvelle génération de riggers et d’artistes qui refusent les étiquettes de genre. Les femmes occupent désormais une place centrale :
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Elles enseignent dans des festivals internationaux.
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Elles créent des esthétiques nouvelles, plus expérimentales.
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Elles affirment que le Shibari n’est pas seulement une question de technique, mais aussi de communication, ressenti et expression personnelle.
L’histoire du Shibari est souvent racontée à travers les maîtres masculins. Pourtant, sans les modèles, riggers et photographes femmes, son évolution aurait été bien différente. Leur rôle a été déterminant, de Kishinami à Miumi Uesugi, de Clover à Noriko Yamaguchi.
Aujourd’hui, les femmes redéfinissent les codes, ouvrent de nouvelles voies et portent un Shibari plus inclusif, riche et pluriel.
Reconnaître ces figures, c’est rendre justice à la diversité d’un art qui n’appartient ni à un genre ni à une seule culture, mais à tous ceux qui tissent des liens à travers les cordes.